La philosophe est élue sous la coupole du Quai de Conti au fauteuil de Jean-Loup Dabadie. « Le Point » revient sur son parcours.

Après l’historien Antoine Compagnon et le Prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa, c’est au tour de la philosophe Sylviane Agacinski de rejoindre aujourd’hui l’Académie française. Elle y a été élue ce 1er juin face à cinq autres candidats : l’historien Bertrand Lançon, le poète Éric Dubois, et des illustres inconnus, Yves-Denis Delaporte, Jean-Yves Gerlat et Eduardo Pisani, qui s’amusent à postuler chaque année. La femme de lettres, ancienne professeure d’université, s’était portée candidate le 4 mai dernier.
S’il ne lui aura suffi que d’une seule campagne pour séduire les membres de cette institution fondée en 1635, quatre élections et plus de douze tours de scrutin auront néanmoins été nécessaires pour que les Immortels parviennent à désigner le successeur de Jean-Loup Dabadie au fauteuil n° 19. Les difficultés rencontrées par les académiciens pour se mettre d’accord sur le nom du remplaçant (ou plutôt, en l’espèce, de la remplaçante) du scénariste, décédé le 24 mai 2020, en disent long sur les lignes de fracture qui traversent l’Académie française.
En mai 2022, une première journée d’élection avait été infructueuse. Faute de majorité qualifiée départageant les candidats, aucun nom n’était sorti du chapeau. À l’automne, Frédéric Beigbeder et Benoît Duteurtre n’avaient pas convaincu les Immortels de leurs qualités pour intégrer la coupole du Quai de Conti. En mars dernier, enfin, une troisième « élection blanche » avait été prononcée, faute d’avoir pu départager le journaliste du Figaro Éric Neuhoff et le poète Alain Borer des trois autres candidats.
Dixième femme à intégrer l’Académie française
Sylviane Agacinski est la dixième femme à intégrer l’Académie française après Marguerite Yourcenar (en 1980), Jacqueline de Romilly (en 1988), Hélène Carrère d’Encausse (en 1990), Florence Delay (en 2000), Assia Djebar (en 2005), Simone Veil (en 2008), Danièle Sallenave (en 2011), Dominique Bona (en 2013) et Barbara Cassin (en 2018). La parité est pourtant loin d’être atteinte à l’Académie française puisque seules sept femmes y siègent actuellement au milieu de 28 hommes.
Née dans une petite commune de l’Allier, le 4 mai 1945, formée à la philosophie à l’université de Lyon, notamment par Gilles Deleuze, Sylviane Agacinski a été brièvement journaliste avant de se tourner vers l’enseignement. Professeure agrégée de philosophie, spécialiste de Kierkegaard,elle a enseigné dans divers établissements du Pas-de-Calais et de l’Aisne avant de rejoindre le lycée Carnot (Paris 17e) et de participer à la fondation du Collège international de philosophie aux côtés de Jacques Derrida (1930-2004), avec lequel elle a eu un fils, en 1984. C’est cependant à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess) qu’elle a effectué l’essentiel de sa carrière, de 1991 à 2010.
Mariée depuis 1994 à Lionel Jospin, ancien Premier ministre socialiste, Sylviane Agacinski s’est illustrée pour son engagement en faveur de la loi sur la parité, adoptée en 2000. Un texte qui ambitionne d’instituer l’égal accès entre les femmes et les hommes aux mandats électoraux, une étape importante dans l’évolution des institutions politiques françaises. La philosophe est par ailleurs l’autrice d’une quinzaine d’ouvrages portant sur des problématiques très contemporaines : l’architecture des villes, l’accélération du temps, mais aussi le don d’organe…
Son sujet de prédilection reste les relations de couple et la sexualité. En la matière, ses prises de position ont parfois fait polémique. Dans Femmes entre sexe et genre (paru au Seuil, en 2012), la philosophe a ainsi jeté un pavé dans la mare en critiquant l’idée de Judith Butler selon laquelle la distinction homme-femme serait une « binarité artificielle » qui devrait laisser place à une multiplicité de genres.
Dans son essai Du corps charnel au corps fabriqué (Gallimard, 2019), les réticences qu’elle a exprimées face aux risques de « marchandisation » du corps humain ont également défrayé la chronique. La crainte qu’elle formulait de voir la procréation se transformer en business l’a conduite à écrire les réserves que lui inspire la légalisation de la gestation pour autrui (GPA). Il n’en fallait pas plus pour que ses détracteurs dénoncent la « droitisation » d’une intellectuelle qui a, par ailleurs, longtemps milité au Parti socialiste. L’intéressée s’en est expliquée, pointant au contraire que sa position sur la GPA résulte de la défiance que lui inspire l’« idéologie ultralibérale » qui a perverti le slogan « mon corps m’appartient » des féministes des années 1970.
La date de réception de Sylviane Agacinski à l’Académie n’est pas encore arrêtée. Mais la prochaine élection au sein de ce cénacle très fermé est, quant à elle, déjà fixée. Elle aura lieu le jeudi 22 juin, pour le fauteuil numéro 6 annoncé vacant lors de la séance du jeudi 27 avril. Le poète Hédi Kaddour, qui avait reçu le grand prix du roman de l’Académie française en 2015, apparaît comme le grand favori pour succéder à Marc Fumaroli (1932-2020). Il ne restera ensuite plus à pourvoir que trois sièges : ceux de Jean-Denis Bredin, de Valéry Giscard d’Estaing et de René de Obaldia.
Avec le Point par Baudoin Eschapasse