Le Canada reprend ses expulsions

À compter du 30 novembre, des milliers de demandeurs d’asile déboutés pourront être renvoyés du pays.

Le 17 mars dernier, l'ASFC avait décidé de suspendre la plupart de ses mesures de renvoi.© Graham Hughes La Presse canadienne Le 17 mars dernier, l’ASFC avait décidé de suspendre la plupart de ses mesures de renvoi.

En pleine deuxième vague de COVID-19, le Canada va recommencer les expulsions, a appris Le Devoir. Suspendues, sauf exception, depuis le début de la pandémie, les mesures de renvoi, qui concernent des milliers de demandeurs d’asile déboutés, seront en effet de nouveau exécutées par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

« À compter du 30 novembre 2020, l’Agence reprendra les opérations de renvoi pour tous les ressortissants étrangers interdits de territoire au Canada », lit-on dans une communication officielle de l’ASFC. Cette décision semble avoir été motivée par la réouverture progressive des pays, l’instauration de stratégies des compagnies aériennes pour minimiser les risques de propagation et l’émergence des divers scénarios de vaccins.

L’ASFC a tenu à préciser que la décision d’arrêter les expulsions pendant la pandémie « était une mesure exceptionnelle qui n’était pas partagée par la communauté internationale ». Rappelons que, le 17 mars dernier, elle avait décidé de suspendre la plupart de ses mesures de renvoi. Seules les personnes ayant participé à des activités criminelles ou celles qui voulaient volontairement partir étaient renvoyées.

Pour Guillaume Cliche-Rivard, président de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI), c’est une « très mauvaise nouvelle ». « Ça veut dire que les gens qui étaient en attente et dans l’espoir de régulariser leur statut, certains avec le programme qui vise les anges gardiens, pourront être renvoyés avant », a-t-il dit. « Ces gens jouent pourtant un rôle important dans tous les secteurs de notre société. Ça comprend les personnes comme les agents de sécurité qui font le guet dans les établissements de santé ou ceux qui nettoient dans les CHSLD, qui ne sont visées par aucun programme [de régularisation], mais qu’on ne peut pas se permettre de perdre. »

Moment mal choisi

Pour lui, à quelques semaines de Noël et au plus fort de la deuxième vague, le moment pour reprendre les expulsions ne peut pas être plus mal choisi. « On est en pleine recrudescence avec 1400 cas par jour. Qu’on soit en mesure de laisser partir certaines personnes me semble complètement illogique », a déploré Me Cliche-Rivard. « Ce même gouvernement qui nous dit de ne pas sortir et d’éviter de prendre l’avion nous dit qu’il va renvoyer des gens dans leurs pays en ce moment. »

Si elle trouve « absurde » de recommencer les renvois ces jours-ci, Marjorie Villefranche, directrice de la Maison d’Haïti et co-porte-parole de la Coalition pour la régularisation des statuts, ne s’en étonne pas. « Ils choisissent un moment où on ne va pas faire trop attention à ça. C’est dans leur habitude. On est un peu avant Noël, et tout le monde est occupé à autre chose », dit-elle. Cela ne l’empêche pas de voir cela comme une bien mauvaise nouvelle. « Ça veut dire que les personnes qui sont des demandeurs d’asile déboutés, et qui justement pourraient bientôt voir leur statut se régulariser, sont à risque d’être expulsées. »

Renvoyer des anges gardiens ?

Pour l’heure, l’entente de régularisation des anges gardiens, qui doit entrer en vigueur d’ici la fin de l’année, vise les personnes ayant travaillé dans le domaine de la santé, dans les soins directs aux patients. Avec la reprise des expulsions, Mme Villefranche craint que ces personnes ne soient expulsées avant que le programme n’entre en vigueur, de même que les quelque 5000 demandeurs d’asile déboutés qui sont déjà au pays et qui pourraient être inclus dans le même programme s’il était élargi à tous les travailleurs des services essentiels. « Toutes ces personnes qu’on visait en demandant l’élargissement du programme pourraient être renvoyées », déplore-t-elle.

Selon Guillaume Cliche-Rivard, l’ASFC, qui relève du ministère de la Sécurité publique du Canada, ne détient pas d’informations précises sur la personne qui est renvoyée, notamment sur l’emploi qu’elle occupe. « L’Agence ne sait pas le travail que font les gens. Peut-être que des procédures pourraient être suspendues à l’endroit de certaines personnes qui occupent des emplois dans les services essentiels, mais en ce moment, légalement, rien ne l’empêche d’expulser un préposé aux bénéficiaires. »

Des recours possibles

Les demandeurs d’asile déboutés pourront toutefois se prévaloir, comme d’habitude, des divers mécanismes tels que les appels, les contrôles judiciaires et les demandes de résidence permanente pour motifs humanitaires. L’examen des risques avant renvois, pour s’assurer que les personnes ne sont pas renvoyées dans un endroit du monde où elles courent un risque, sera également possible.

Ni l’Agence des services frontaliers du Canada ni le cabinet du ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, n’ont été en mesure de donner davantage d’explications sur cette décision. Les ressortissants de certains pays, où la situation locale est considérée comme trop dangereuse, comme Haïti, la Syrie et la République démocratique du Congo, ne peuvent pas être expulsés, car ils font partie des personnes figurant sur la liste canadienne des sursis aux renvois.

Avec Le Devoir par Lisa-Marie Gervais 

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