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Conte: Le Malafoutier, l’Abeille, le Colibri et le Serpent

mars 10, 2015
Le Malafoutier

Le Malafoutier

Jadis dans la forêt boisée et herbacée de Ngoro Ngoro vivait un vieux Malafoutier fatigué, usé par le travail et son âge avancé.

Grand-père, il avait de nombreux enfants et petits-enfants. Une barbe blanche envahissait son menton et remontait ses joues en passant par les oreilles jusqu’au sommet de sa tête, où elle rentrait en communion avec ses cheveux blancs. Il avait aussi une moustache abondante qui cachait ses narines, filtrant sa respiration, empêchant tous les assauts intempestifs de la poussière.

Au midi de l’âge dans la quarantaine, fort comme Hercule, il aimait planter des palmiers qui lui procuraient des noix de palme pour son alimentation, de l’huile pour son savon, des fibres pour tisser son pagne de raphia, des palmes pour fabriquer ses paniers d’osier puis avec leurs brindilles son balai mais aussi construire sa hutte. Il pouvait extraire du haut du palmier son vin et vendre la grande quantité d’huile aux administrateurs des colonies qui en exportaient à l’étranger pour la margarine.

Dans sa vieillesse, Mbuta Nkodia était resté seulement avec Mâ Ngangoula. Une belle femme malgré son âge, qui, à l’époque, bousculait les yeux des hommes et attirait leur regard, par son charme. Il réduisit ses activités car ses bras ne répondaient plus à toutes ses charges lucratives et productives. La récolte du vin de palme était l’unique et principal travail qui désormais occupait son temps au village. Il rendait de multiples services à sa communauté. Son vin était sollicité dans les veillées mortuaires et les danses folkloriques, les mariages et les ménages. Il était également présent dans les causeries du Mbongui. Il participait activement dans les cérémonies spirituelles comme offrande à donner aux ancêtres, sous forme de libation. Il apportait sa contribution dans le mélange de certaines préparations des rites traditionnels. Bon accompagnateur de la cola rouge ou blanche. Il était omniprésent dans la vie humaine et communautaire.

Le vin du Mbuta Nkodia était réputé sucré d’une blancheur laiteuse, mousseuse et savoureuse. Des clients fidèles, des amis d’enfance et de confiance venaient l’acheter puis le boire chaque jour. Sa femme étalait sur une table de fortune des arachides crues sous forme d’amuse-bouche. Délicieux et succulent, il en disposait dans les litres pour tous les goûts. Les amateurs d’alcool pouvaient trouver celui de leur convenance buccale qui était fermenté. Placé dans un coin, pour éviter la confusion de service, après un jour de repos, il devenait fort. Bon pour cette catégorie de consommateurs.

Un jour, pendant qu’il dormait, pour sa sieste, l’après-midi, allongé sur son tanawa, chaise longue, il entendit un bourdonnement d’abeille. Bercé par la musique, à la monotonie insistante, croyant vivre un rêve, il ouvrit d’abord un œil, ensuite un deuxième, enfin il les frotta tous les deux: dès qu’il cessa, il vit une Abeille charpentière. Vêtue d’une belle robe noire et jaune, aux épaulettes soutenues par des ailes transparentes, elle avait sans nul doute faim, car elle promenait sa trompe sur les assiettes entre les arêtes qui avaient servi de repas de carpes préparées à l’étouffée par Mâ Ngangoula. Elle put trouver dans sa quête, entre les os, de filament de nourriture qu’elle rassemblait sous ses pattes avant de décoller vers la destination de son logis : une ruche cachée dans le creux d’un bois.

Une heure après, elle revint, cette fois-ci, en couple. Par leur présence, le vieux NKodia capta le message  selon les enseignements de sa tradition. Ces abeilles viennent m’annoncer: soit l’arrivée d’un étranger, soit une situation se produisant dans un endroit précis, qu’il faut aller vérifier. Il se frotta encore les yeux, pris une cola rouge et des graines de maniguettes dans la poche de sa culotte bleue puis les mangea, en les mastiquant dans sa bouche. A ce moment, par le goût aigre et pimenté, ses oreilles vibrèrent et bougèrent comme celles d’un éléphant. Il chercha à bien comprendre. Finalement, il décida de suivre les abeilles avec son vieux vélo, à porte-bagages, sur les côtés qu’un missionnaire lui avait donné pour l’avoir sauvé d’une noyade lors d’une crue de la grande rivière, au niveau d’un pont en lianes.

Quand il arriva dans le périmètre de l’alignement de ses palmiers luxuriants, il fût accueilli par un Colibri, au plumage coloré: le bec noir fin et droit, la tête et les ailes vert métallisé, les yeux noirs, la gorge jaune, le ventre et les pattes gris sombre et la queue rouge. Il vint se plaindre auprès de lui que ses oisillons étaient en danger de mort dans leur nid. Il ne voulut pas l’entendre raison, le connaissant de bon usurpateur et de friand buveur de vin de palme qui cherchait à justifier sa faute.

  • Quitte-là! Je te connais : c’est toujours toi qui vas goûter mon vin avant le propriétaire qui souffre pour tailler les palmiers. Tu vois parfois comment je me blesse avec des aiguilles qui me piquent dont je garde les cicatrices?
  • Mais vieux! veux-tu aussi que je puisse me blesser comme toi en buvant ton vin? Je bois ce que m’offre la nature humaine et végétale. Dans les jardins, je ne demande pas la permission pour butiner et retirer le suc des fleurs. Je passe allègrement d’une espèce à une autre Personne ne me chasse. Les gens sont contents de me voir avec mon beau plumage. Je fais la fierté des jardins. C’est ma condition d’existence. Je ne connais pas le prix de la marchandise non plus la couleur de l’argent. Je me sers à mon aise et à ma guise.

Il le chassa d’un revers de main. Planant dans les airs, il émettait son chip aigu, tournant au-dessus de sa tête. Il le repoussa également avec un bâton. Il demanda aux abeilles d’aller vérifier ce qui se passait. Elles ne virent rien. Elles bourdonnaient seulement : bouh, bouh, bouh!

Pendant ce temps, un Serpent gris s’introduisit dans le nid et commençait à avaler les oisillons. Le Colibri remonta encore le palmier, constata que le prédateur était rentré dans son nid et que seule sa queue était restait dehors; il conclut de la mort certaine de ses enfants. Il revint, de nouveau, solliciter le concours du Malafoutier. Celui-ci continuait à faire la sourde oreille. Brillant par son indifférence d’assistance, il bourra sa pipe sortie de la poche de sa chemise orange. Il fumait tranquillement son tabac avant de récolter son vin. Le Serpent repu, le ventre légèrement rebondi, se logea et se reposa du haut de l’arbre, caché sous le feuillage.

A la fin de son repos, le Malafoutier pris sa corde, la détacha, ceinturant le tronc du palmier, puis la boucla au point d’attache pour une réelle sécurité. Ainsi, il commença à gravir, posant ses pieds aux différentes entailles crevassées dans la peau de l’arbre: d’un effort de ses bras, tout son corps poussait graduellement une suite de hop, hop, hop, jusqu’à la limite de sa calebasse.

Au moment où il transvasait son vin; il entendit un bruit insolite de frottement; frooh, frooh, frooh, oubliant l’information du Colibri, il se contentait seulement de sa récolte. Il crut au ruissellement de la rivière passant entre les pierres et les herbes. Soudain, un Serpent fit irruption entre les branches. Irrésistiblement, ne pouvant descendre avec sa corde, il se jeta du haut du palmier. Heureusement pour lui, il tomba sur une motte de pailles séchées qui amortit sa chute.

Pris de panique, le Serpent aussi se projeta dans les airs et atterrit sur un amas de cendres sous lequel gisait des braises incandescentes, d’un feu laissé la veille par les cultivateurs. Il se brûla en s’enroulant et en se tordant. Il ne réussit pas à s’en sortir. Le Malafoutier se releva, repartit au pied de l’arbre et détacha sa corde qui l’attendait dans la solitude et la promptitude de sa chute.

Le Colibri se moquait de lui, tenant ses maigres côtes sous ses fines ailes. Il ne cessait de s’égosiller :

  • tu n’as pas voulu m’écouter et m’aider. Voilà le prix de ton indifférence à mon malheur.
  • Laisse-moi! Vas pleurer et te plaindre ailleurs, lui dit-il?

Les Abeilles, quant à elles, tournoyaient sur le vin répandu au sol à la brisure de la calebasse. Le Colibri remonta le palmier puis regagna l’emplacement de la calebasse pour  introduire son bec pointu dans le petit trou d’où dégoulinait le vin.

Honteux et vaniteux devant les Abeilles et le Colibri qui le regardaient, chantant leur musique habituelle; Nkodia le Malafoutier se releva puis partit regarder le Serpent. Il le sortit des braises à l’aide d’un bâton. Il était calciné, par endroits. Il le reconnut par le bout de sa queue et la forme de sa tête qui conservaient encore quelques marques de ses écailles. Il le trouva comestible, le plaça dans sa gibecière et alla le donner à sa femme Mâ Ngangoula au village pour lui préparer une bonne soupe, aux tomates, à l’oignon, au petit piment rouge et fort et à l’eau de source, en souvenirs du mauvais traitement qu’il lui a fait subir.

Depuis lors, le Malafoutier prête attention au message des animaux de la nature qui lui rendent visite et se trouvent à proximité de sa calebasse, pour éviter un quelconque danger d’étrangers.

©Bernard NKOUNKOU

Malafoutier est un homme qui grimpe sur les palmiers pour récolter le vin de palme

Mbuta : le vieux en langue Kongo

Mbongui : sorte de cénacle ou lieu de rassemblement de causeries, d’éducation ou de règlement de conflits familiaux ou communautaires