La peur, la mort, la fuite… La mobilisation racontée par des Russes

Si Vladimir Poutine a annoncé que la mobilisation controversée tirait à sa fin, la peur et la méfiance se sont installées en Russie, au terme de 8 mois de guerre.

Un couple s'embrasse.

Une femme embrasse son mari qui vient d’être recruté à Omsk, en Russie. Photo : Reuters/Alexey Malgavko

Nos conversations sont courtes et simples, mais elles vont droit au but.

-Comment ça va en Russie?

-Normal…

-Vous avez peur?

-Oui.

-De quoi?

J’attends impatiemment la suite, mais elle n’arrive pas. Je regarde les trois petits points sur mon écran de téléphone qui indique qu’Andrei (nom fictif) avec qui je cause m’écrit encore, mais ça lui prend du temps pour formuler la réponse.

Quand elle apparaît enfin quelques minutes plus tard, ses mots me glacent le sang.

Mon ami s’est tué cette semaine pour ne pas aller à la guerre.

Il n’avait que 24 ans.

Un jeune homme qui vivait à Moscou. Il a mis fin à ses jours après avoir reçu sa convocation, m’écrit froidement Andrei. Cette convocation militaire l’aurait obligé à aller au front et à se battre contre les Ukrainiens.

Il y a des hommes russes qui se cassent une jambe ou un bras pour éviter d’être conscrits. D’autres se cachent et s’enfuient, mais ce jeune de 24 ans a choisi d’en finir pour de bon.

Pourquoi souffrir? Il savait comment ça finirait pour lui, ajoute Andrei, qui m’assure que son ami ne souffrait pas de dépression au préalable.

Il m’avoue pour la première fois (depuis que la guerre a commencé) que c’est la panique à Moscou, et ce, même si Vladimir Poutine assure que la mobilisation tire à sa fin et même si le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, a renchéri cette semaine en assurant que plus un seul Moscovite ne sera conscrit.

Les Russes se doutent bien que cette mobilisation partielle n’est peut-être que le début d’une mobilisation plus vaste, sinon générale, et bien sûr Andrei, qui est plus vieux, a peur d’être le prochain.

Il est pourtant un vrai patriote avec qui j’ai souvent discuté de la Russie. Ce pays qu’il a toujours défendu avec passion se retourne contre lui, c’est du moins ce qu’il laisse entendre dans ses missives ces jours-ci.

-Pourquoi tu ne pars pas?

-Pour aller où? Et à quoi bon, tout le monde est contre nous.

Il ne veut même plus parler de Vladimir Poutine, qui était dans un passé pas si lointain toujours au cœur de nos échanges.

Ce n’est plus important, si je soutiens Poutine ou pas. On est tous dans le même bateau qui coule. Les sanctions ne sont plus contre lui, mais contre moi et mon fils. Si les bombes tombent, ce sera sur moi et mon fils aussi.

Il tient ce discours fataliste que j’ai souvent entendu en Russie. Ce qui doit arriver arrivera. Comme si être Russe était une sorte de condamnation.

Comme des millions de ses compatriotes, Andreï goûte finalement à cette guerre qui, depuis des mois, leur apparaissait si loin, et pour certains même nécessaire, comme le prétend le Kremlin.

Mais cette opération spéciale, comme on la leur a vendue, a fini par les rattraper et les arrache désormais de leur confort et de leur sécurité.

Des réservistes survolés par un drone.

Des réservistes récemment mobilisés s’entraînent à Volgograd, en Russie. Photo : Reuters/Kirill Braga

Depuis l’annonce de la mobilisation partielle en septembre, des centaines de milliers d’hommes ont quitté la Russie pour trouver refuge dans les pays comme la Géorgie, l’Arménie, la Mongolie et le Kazakhstan.

Plusieurs hommes à qui nous avons parlé ont quitté leur famille, leurs enfants, et ont pris tout ce qu’ils avaient comme économies pour s’installer à l’étranger.

Une autre amie, Valeria (nom fictif), qui est encore en Russie avec son mari et ses enfants, m’écrivait pas plus tard que cette semaine : Elle est vraie cette guerre, on le comprend.

La dernière fois que j’ai vu Valeria en personne, c’était quelques semaines avant l’invasion au mois de février, alors que les troupes russes se massaient à la frontière de l’Ukraine.

Comme beaucoup d’autres, elle n’y croyait pas vraiment, à la possibilité d’une guerre. Même quand les bombes ont commencé à pleuvoir sur l’Ukraine, elle doutait de l’étendue des dégâts. On ne sait pas vraiment ce qui se passe, me disait-elle, toujours craintive de critiquer le régime, surtout devant une journaliste étrangère. Elle s’en tenait à des généralités pour exprimer son désarroi.

Aujourd’hui, elle m’écrit que la guerre est vraie et douloureuse, parce qu’elle risque de lui prendre son mari, et le père de ses enfants.

Il préfère aller en prison que d’aller à la guerre, il nous a prévenus, m’écrit-elle.

Elle m’explique qu’il limite ses déplacements en ville de peur d’être arrêté à la sortie de la maison ou devant une bouche de métro par les recruteurs de l’armée.

Un panneau de nuit dans la ville.

Un nouveau panneau publicitaire fait la promotion de l’armée à Moscou. Photo : Reuters/Evegenia Novozhenina

L’armée mandate désormais des hommes et des femmes à l’échelle du pays qui vont de porte en porte pour livrer les avis de convocation en personne aux futurs combattants.

Parfois, ce sont des enseignants ou des policiers locaux qui distribuent les avis, m’explique une amie journaliste russe qui prépare un documentaire sur la guerre telle que la vit son peuple. Dans le déni ou dans la peur.

Sur 20 appartements, il n’y en a qu’un seul où quelqu’un répond à la porte, me dit-elle, les hommes se cachent.

Elle vit en banlieue de Moscou et passe aussi des heures à filmer devant les bureaux de recrutement du ministère de la Défense. Les réservistes qui s’y présentent, papiers en main, n’ont souvent aucune espèce d’idée de la mission qu’on leur confie de force, ne serait-ce qu’ils s’en vont remplir les rangs d’une armée de terre qui est en déroute.

Devant un bureau de l’armée à Strogino, un jeune venu s’enrôler lui a dit qu’il a répondu à l’appel parce qu’il est endetté et qu’on lui a promis un congé sur les paiements de ses prêts bancaires.

Des personnes devant un bureau de recrutement.

Des hommes récemment mobilisés quittent leur famille à Moscou. Le maire a annoncé que la mobilisation est terminée pour le moment dans la capitale. Photo : Reuters/Fournie à Reuters

Puis elle me raconte l’histoire de Vlad et Katia, un couple dans la vingtaine qu’elle vient de filmer, et qui a dépensé 100 000 roubles (environ 2000 $) pour équiper Vlad d’un sac de couchage et de l’équipement nécessaire pour survivre au combat.

Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent des recrues qui se plaignent des conditions dans lesquelles ils sont envoyés à la guerre, sans nourriture ni médicaments. Beaucoup affirment avoir de la fièvre après avoir passé des jours sous la pluie.

Katia a supplié Vlad de se cacher, mais raconte qu’il n’a pas pu échapper à la mobilisation. Il ne sait pas où on l’emmène et combien de temps il aura pour s’entraîner avant d’être officiellement déployé au front.

Katia pleure alors qu’elle s’apprête à lui dire au revoir.

Ils savent tous les deux que sur des milliers de conscrits déjà envoyés à la guerre, des dizaines sont déjà revenus en Russie dans des cercueils.

Vlad et ses nouveaux compagnons d’armes qui se préparent à monter dans un autobus bleu ont eu droit à un sermon sur l’importance de cette guerre pour vaincre les nazis en Ukraine ainsi que pour préserver les valeurs conservatrices.

Puis un prêtre les a aspergés d’eau bénite. Et ils sont partis.

Un prêtre porte une croix au front d'un homme.

Un prêtre bénit des réservistes à Bataysk, en Russie. Photo : Reuters/Sergey Pivarov

Si la promesse du maire de Moscou est tenue, ces bureaux de recrutement seront fermés sous peu dans la capitale, si ce n’est pas déjà le cas.

Mais dans le reste de la Russie, la mobilisation continue et le Kremlin confirme aujourd’hui que Vladimir Poutine n’en a pas encore décrété la fin.

Avec Radio-Canada

Tamara Alteresco

par Tamara Alteresco

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