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Le Parlement européen vote une résolution sévère sur la Tunisie

mars 16, 2023

Quelques semaines après le Maroc, c’est la Tunisie qui est aujourd’hui dans le viseur des députés européens. Ils ont adopté ce matin à une large majorité une résolution condamnant les dérives du pays en matière de libertés publiques et de répression contre la presse et les syndicats.

Le Parlement européen, à Strasbourg. © Facebook Parlement Européen

Le Parlement européen s’est rarement prononcé sur la situation en Tunisie ; mais cette fois, il expose ses préoccupations quant aux atteintes des droits et libertés qui transparaissent à travers les arrestations récentes, visant notamment des journalistes. Portée par un groupe d’eurodéputés, une résolution sur « les récentes atteintes à la liberté d’expression et d’association et attaques contre les syndicats en Tunisie, en particulier le cas du journaliste Noureddine Boutar » a été soumise au Parlement et adoptée, ce 16 mars, par 496 voix sur 537. Un score conséquent qui est aussi un rappel s’adressant aux autres instances européennes, les invitant à adopter une position cohérente sur la Tunisie.

Le texte de la résolution énonce une série d’incidents et de faits qui, mis bout à bout, dressent un bilan accablant de la dérive liberticide du régime tunisien, qui tend vers une autocratie. La liste est édifiante : elle débute par les pleins pouvoirs détenus par un seul homme, relève le démantèlement des instances constitutionnelles, se réfère à l’arrestation, le 11 février 2023, de Noureddine Boutar, patron de la radio indépendante Mosaïque FM ainsi que de personnalités politiques, revient sur la traduction de journalistes devant le tribunal militaire et leur qualification de « terroristes » et « traîtres » lors des arrestations. La résolution cite aussi les décrets portant atteinte aux libertés, dont le fameux décret-loi 54 traitant de la cybercriminalité, mais aussi le projet de loi sur les ONG, qui prévoit une approbation préalable du gouvernement.

Parmi les entraves aux libertés, celle de la pratique syndicale est illustrée par les arrestations depuis fin janvier 2023, suite à une grève, de syndicalistes, dont Anis Kaabi, mais aussi l’expulsion, le 23 février 2023, d’Esther Lynch, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES) et l’interdiction d’entrée en Tunisie de syndicats de six pays de l’Union. Le projet de résolution pointe enfin les fausses accusations portées à l’encontre des migrants subsahariens qui chercheraient « à remplacer démographiquement les Tunisiens » et qui ont été cibles d’agressions.

Appel à agir

La résolution votée par les eurodéputés demande la libération des journalistes, des syndicalistes et de toute personne arrêtée arbitrairement, que cessent les atteintes à la société civile. Elle enjoint de rétablir les juges révoqués arbitrairement, d’annuler toutes les mesures qui portent atteinte à l’indépendance de la justice et de mettre fin aux poursuites des civils par des tribunaux militaires. Le texte traduit une préoccupation à l’égard des ONG et de leurs marges de manœuvres, soutient une approche inclusive par le biais d’un dialogue national, se référant d’ailleurs au succès de celui tenu en 2013 sous la houlette du principal syndicat tunisien : l’Union générale tunisienne du travail.

« Les autorités tunisiennes n’ont pas pris la mesure de ce que représente Esther Lynch, qu’elles ont considérée comme persona non grata », commente un observateur tunisien, revenant sur l’affaire de l’expulsion de la dirigeante syndicale. Il prévoit que l’adoption de la résolution va être accueillie en Tunisie par un tollé avec, encore une fois, un discours sur l’ingérence étrangère dans les affaires du pays. Ces propos ont cependant de moins en moins de portée et peinent à réveiller un sentiment national, bien que Kaïs Saïed estime que la Tunisie est dans une « lutte nationale » face à ses ennemis, réels ou imaginaires, endogènes comme exogènes.

Le Parlement européen, à Strasbourg. © Facebook Parlement Européen
Le Parlement européen, à Strasbourg. © Facebook Parlement Européen

À Strasbourg, le groupe de députés à l’initiative de la proposition justifie sa démarche par la volonté d’interpeller « une Commission européenne et un Conseil européen qui n’ont pas été aussi fermes que l’auraient souhaité les groupes parlementaires sur le respect des fondamentaux démocratiques par la Tunisie ». Une sorte de rappel à la vigilance aux instances européennes.

« Le parlement, contrairement à la Commission, n’a pas pouvoir d’arrêter la coopération, mais nous demandons que les aides au ministère de la Justice et au ministère de l’Intérieur soient suspendues », indique l’eurodéputé Jan-Christoph Oetjen, rapporteur du groupe porteur de ce dossier Tunisie au sein du parlement européen. Anticipant les reproches qui pourraient être formulés, il tient à spécifier que la démarche n’est pas dirigée « contre la Tunisie mais pour la population, car il existe des droits fondamentaux non négociables » et qu’il « ne saurait être question de priver la Tunisie de l’aide dont elle a besoin ». Le montant total des financements européens au pays a été  de 553 millions d’euros en 2022.

La migration laissée hors du débat

En Tunisie, certains s’attendaient à ce que la question migratoire soit également abordée par les eurodéputés, d’autant que la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, exerce toute une série de pressions à ce propos sur le gouvernement tunisien et laisse entendre que l’Italie pèsera auprès des instances internationales, notamment le Fond monétaire international, pour que la Tunisie accède à des financements. « La question migratoire n’était pas dans le focus de la résolution, qui ne portait que sur les libertés », précise Jan-Christoph Oetjen, qui ajoute qu’au sein du parlement, l’Italie ne représente pas une majorité et conclut : « Si j’étais tunisien, je me méfierais de Meloni. »

Ce vote du Parlement devrait maintenant avoir une influence sur le débat des ministres des Affaires étrangères européens, qui se déroulera le 20 mars. Hasard du calendrier ? Ce jour-là, la Tunisie commémore son accession à l’indépendance, en 1956, mais fera également le constat de sa dépendance à l’aide internationale pour avoir négligé la question économique, pourtant centrale et prioritaire.

Avec Jeune Afrique par Frida Dahmani

Lettre ouverte d’un Tunisien à ses « frères subsahariens »

mars 10, 2023

Dans une lettre ouverte, l’universitaire tunisien Skander Ounaies exhorte les Subsahariens, notamment ses étudiants, à ne pas condamner l’ensemble du peuple tunisien à cause des agissements irresponsables et méprisables d’une minorité.

Des ressortissants ivoiriens sur le départ devant leur ambassade, à Tunis, le 7 mars 2023. © Yassine Gaidi/Anadolu Agency via AFP

J’adresse cette lettre à nos frères africains, et surtout à mes étudiants, anciens et actuels : Destin, du Congo-Brazzaville, Yvans, du Gabon, Louise, du Togo, Carole et Steve du Cameroun, Arfina et Mohamed, des Îles Comores, Elyse du Bénin et à tous les autres, pardon pour l’oubli des noms.

Vous n’imaginez pas la honte et la rage que nous avons ressenties, nous, Tunisiens fiers et vrais patriotes, face aux moments de détresse vécus par nos frères africains à cause du comportement lâche et scandaleux d’une frange infime du peuple tunisien, comportement que nous condamnons dans les termes les plus durs et les plus explicites, et qui ne reflète pas la vraie nature du peuple tunisien.

Biberonnés à la haine de l’Autre

Hélas, cette frange infime non éduquée existe, et elle a été biberonnée à l’ignorance, au rejet et à la haine de l’Autre, sans qu’il soit nécessairement d’un autre pays : il suffit qu’il soit d’une autre région ! N’appelle-t-on pas les habitants du Nord-Ouest, supposé défavorisé, « les 08 », en référence à leur indicatif téléphonique régional ? Si ce n’est pas du racisme latent, de quoi cela est-il donc le nom ?

Ce comportement « bête et méchant », pour reprendre le sous-titre du journal Hara-Kiri de nos années d’étudiants en France, n’est pas nouveau. En effet, il y a déjà cinq ans, je présentais, dans un article publié par Jeune Afrique, une réflexion sur la « haine » dans notre pays : « On observe donc, depuis un certain temps, des mouvements sociaux, relatifs à la haine de l’entreprise, de l’éducation publique, de la justice et des magistrats, du travail, que beaucoup considèrent comme “stérile” au sens physiocratique du terme, c’est-à-dire non reproductif. Enfin, pour finir, et en plus dangereux, la haine de l’État, que beaucoup considèrent comme totalement absent de leurs problèmes quotidiens, surtout dans les régions dites défavorisées. »

Vous constaterez que le texte est, hélas, toujours d’actualité. Cette haine cultivée par une certaine frange du peuple tunisien résulte, à mon sens, d’une éducation familiale et scolaire défaillante, les jeunes ayant été « élevés » dans la haine et le rejet de toute altérité ! Cette frange qui n’a aucune culture économique –  ni culture tout court –, qui ne comprend rien à la marche du monde, qui ne saisit pas les enjeux auxquels fait face le pays, qui se nourrit de la haine de l’Occident, mais en rêvant en douce d’y vivre, croit fortement à l’histoire de « la Belle au bois dormant » ou, pour faire local, à l’histoire d’« Ommi Sissi », qu’on lui raconte à chaque nouvelle « élection ». Ainsi, c’est principalement elle qui a massivement voté, en 2011, pour le parti des « gens qui craignent Dieu » (sic), et on a vu que ces gens étaient plutôt copains avec… le diable ! Le comportement aveuglément moutonnier et méprisable de cette frange minoritaire ne doit pas masquer le caractère ouvert sur le monde de l’ensemble du peuple tunisien, et surtout de ses élites.

Débat occulté

Ce même peuple qui a accueilli, en 2012, près de 650 000 réfugiés en provenance de Libye, alors même que son propre sort lui paraissait incertain en raison de la « révolution » de janvier 2011. Pour rappel, le président Bourguiba était très proche des présidents Léopold Sédar Senghor, du Sénégal, Félix Houphouët-Boigny (dit « le Vieux »), de Côte d’Ivoire et, à un degré moindre, de Mobutu Sese Seko, du Zaïre (aujourd’hui la RDC).

De plus, la Tunisie est un des membres fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), en 1963 : c’est dire si nous nous sommes tournés vers nos frères africains dès le début de notre indépendance, et même avant. Enfin, pour reprendre des souvenirs de jeunesse touchant à l’Afrique, mes regrettés parents n’ont pas raté, en 1969, la venue à Carthage de la diva Miriam Makeba (surnommée « Mama Africa »). Mon père étant un diplomate cultivé, toute la semaine, chez nous, il n’avait été question que de l’Afrique du Sud, de l’apartheid, de Nelson Mandela, et de la Rhodésie (actuel Zimbabwe), avec les leaders  indépendantistes Robert Mugabe et le colosse Joshua Nkomo : ce sont des explications qui marquent la vie d’un gamin !

Pour conclure, comme l’ont si bien écrit le 3 mars 2023 la militante antiraciste Saadia Mosbah et l’écrivaine et psychiatre Fatma Bouvet de la Maisonneuve dans un quotidien français, « la question très taboue du racisme en Tunisie n’a jamais fait l’objet d’un débat national ». Tant que ce débat sera occulté, il y aura d’autres incompréhensions et d’autres drames. Pour dépasser de manière intelligente cette « peur » qui n’a pas lieu d’être, apprenons à nos enfants que nous, Tunisiens, sommes un peuple chargé d’histoire, africaine, berbère, arabe, comme un kaléidoscope charge la lumière : il brille tout simplement de toutes… ses couleurs. C’est pour cela qu’il est fascinant.

Je voudrais clore cette lettre en demandant à nos frères africains de ne pas condamner l’ensemble du peuple tunisien pour les agissements irresponsables et méprisables d’une infime partie de notre peuple : c’est ce genre de tragédie qui renforce l’amitié et le respect des nations entre elles.

Avec toute ma considération.

Avec Jeune Afrique

Skander Ounaies

Par Skander Ounaies

Professeur à l’Université de Carthage. Ancien économiste au Fonds souverain du Koweït (KIA)

Face aux violences anti-migrants en Tunisie, la Banque mondiale accentue la pression

mars 6, 2023
Face aux violences anti-migrants en Tunisie, la Banque mondiale accentue la pression
Face aux violences anti-migrants en Tunisie, la Banque mondiale accentue la pression© AFP/Archives/Jim WATSON

La Banque mondiale a décidé de suspendre « jusqu’à nouvel ordre » son cadre de partenariat avec la Tunisie, jugeant « complètement inacceptables » les propos du président tunisien Kais Saïed qui, en dénonçant fin février des « hordes de migrants clandestins », a attisé selon l’institution financière la violence à leur encontre.

« Les commentaires publics qui attisent la discrimination, les agressions et les violences racistes sont complètement inacceptables », a jugé le président de l’institution, David Malpass, dans un courrier adressé dimanche soir à ses équipes et que l’AFP a pu consulter lundi.

Face à la dégradation et aux agressions rapportées, M. Malpass estime que la Banque mondiale n’est pas en mesure de poursuivre ses missions sur place, « la sécurité et l’inclusion des migrants et des minorités (faisant) partie des valeurs centrales d’inclusion, de respect et d’antiracisme » de la Banque.

« Compte tenu de la situation, la direction a pris la décision de mettre en pause » cet accord de partenariat « et de retirer du calendrier la revue du conseil d’administration » (CA) de la Banque mondiale, prévue initialement le 21 mars et « reportée jusqu’à nouvel ordre ».

Cette décision concerne le cadre de partenariat pays (CPF en anglais), qui sert de base de suivi par le CA de la Banque mondiale afin d’évaluer et accompagner le pays dans ses programmes d’aide.

Concrètement, l’institution, qui ne peut pas lancer de nouveaux programmes de soutien avec le pays tant que le CA ne s’est pas réuni, a décidé de suspendre la tenue de cette réunion sur la Tunisie « jusqu’à nouvel ordre », selon le courrier de M. Malpass.

« Les projets financés restent financés et les projets en cours sont maintenus », précise cependant à l’AFP une source proche de la Banque mondiale.

« Préoccupations profondes »

La Banque mondiale prévient par ailleurs d’un possible ralentissement de ses actions sur place à cause de la mise en oeuvre de mesures de sécurité, en particulier concernant ses employés originaires d’Afrique subsaharienne et leurs familles.

« La Tunisie a une longue tradition d’ouverture et de tolérance qui est encouragée par tant de personnes dans le pays », a insisté David Malpass dans son courrier.

Si les mesures prises récemment par le gouvernement tunisien « afin de protéger et soutenir les migrants et réfugiés dans cette situation très difficile » vont dans « le bon sens », la Banque mondiale assure qu’elle « évaluera et surveillera attentivement leur impact ».

A l’occasion d’un point presse lundi, le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price, a fait part des « préoccupations profondes » des Etats-Unis « concernant les commentaires du président Saïed ». Il a appelé le gouvernement tunisien à « respecter ses obligations au regard du droit international en protégeant les droits de réfugiés, demandeurs d’asile et migrants ».

Le secrétariat général des Nations unies a de son côté condamné « sans réserve tout commentaire xénophobe et raciste ayant pour but de nourrir la haine raciale », a insisté, également lundi, son porte-parole Stéphane Dujarric.

Le 21 février, le président tunisien Kais Saïed avait estimé dans un discours que « des mesures urgentes » étaient nécessaires « contre l’immigration clandestine de ressortissants de l’Afrique subsaharienne », parlant notamment de « hordes de migrants clandestins » dont la venue relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie ».

Ces propos ont été vivement critiqués par des ONG et des militants des droits humains.

Ils ont également semé un vent de panique parmi les migrants subsahariens en Tunisie, qui font depuis état d’une recrudescence des agressions les visant et se sont précipités par dizaines vers leurs ambassades pour être rapatriés.

Selon des chiffres officiels cités par l’ONG Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, la Tunisie, qui compte quelque 12 millions d’habitants, abrite plus de 21.000 ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne, en majeure partie en situation irrégulière.

Par Le Point avec Washington (AFP)

Rétropédalage de la Tunisie, qui annonce des mesures d’aide aux résidents étrangers

mars 6, 2023

Pour la première fois depuis les propos du président Kaïs Saïed sur les migrants, le 21 février, et alors que les rapatriements de ressortissants subsahariens craignant pour leur sécurité se poursuivent, Tunis a présenté de nouvelles mesures visant à améliorer le quotidien des étrangers, en particulier les étudiants

Des Ivoiriens de retour dans leur pays, à Abidjan, le 4 mars 2023. © SIA KAMBOU/AFP

Au terminal 2 de l’aéroport Tunis-Carthage, les longues files d’attente de ressortissants subsahariens souhaitant quitter le pays et échapper au cauchemar qu’ils vivent depuis quelques jours sont toujours là. Un mouvement déclenché le 21 février, lorsque le président Kaïs Saïed a qualifié les Subsahariens clandestins de hordes d’envahisseurs, parlant d’une tentative de transformer la composition démographique d’un pays « arabo-musulman ». Des propos bientôt suivis d’actes de violence contre les migrants et qui ont provoqué un tollé dans le pays et à l’étranger.

Les pays subsahariens, en particulier ceux dont les communautés sont les plus importantes en Tunisie, comme la Guinée et la Côte d’Ivoire, ont entrepris de rapatrier leurs ressortissants dès le 3 mars tandis que le ministre tunisien des Affaires étrangères, Nabil Ammar, répétait de son côté que la Tunisie ne s’excuserait pas. Une intervention mal venue dans un contexte où les mots et les nuances comptent.

Indignation au Tunisia-Africa Business Council

Nul ne reproche à la Tunisie de vouloir réguler le flux migratoire, c’est son droit, mais tous dénoncent la manière brutale et peu respectueuse des droits humains qui a été employée. « Il y aurait eu une annonce donnant un délai pour quitter le territoire, on aurait compris. Mais l’attitude du pouvoir à été perçue comme un appel à la chasse à l’homme », déplore Fatou, qui s’apprête à rentrer en Côte d’Ivoire par le biais de son ambassade.

Les autorités tunisiennes ont campé pendant dix jours sur leurs positions, invoquant leur bon droit et la souveraineté nationale qui les autorisent à prendre ce genre de décision radicale. Mais les manifestations de protestation, les déclarations hostiles aux propos du président, puis les photos montrant la situation précaire des Subsahariens chassés de leur emploi et de leur logement, qui circulent abondamment sur les réseaux, ont provoqué une telle cassure entre Tunis et l’Afrique subsaharienne qu’une réaction devenait indispensable.

Au-delà des relations diplomatiques et de l’image du pays, c’est désormais le milieu de l’entrepreneuriat qui s’alarme de l’avenir des entreprises tunisiennes installées en Afrique. Anis Jaziri, président du Tunisia-Africa Business Council (TABC), plateforme de réseautage entre la Tunisie et l’Afrique, affiche ainsi son inquiétude, après s’être indigné face à ce qu’il considère comme « une déportation ».

Boycott de produits tunisiens

Dans un post publié sur ses réseaux sociaux, il fait le bilan des jours de crise : il y est question de blocages de marchandises dans certains ports africains, d’annulations de commandes et de marchés, de campagnes de boycott des produits tunisiens, de réorientation des patients vers d’autres destinations que la Tunisie, du retour de dizaines d’étudiants pourtant en situation régulière, d’annulations de voyages d’affaires, de mission, salons, forum… Il exprime aussi son inquiétude pour les milliers de Tunisiens installés en Afrique et conclut : « Le temps presse, la Tunisie doit agir vite et correctement. »

Il a peut-être été entendu. Dans un communiqué daté du 5 mars, la présidence a annoncé  des mesures qui tentent de donner une cohérence au traitement de la migration en général. Ce rétropédalage qui ne dit pas son nom porte sur l’obtention des cartes de séjour, les durées de séjour, l’organisation des départs pour qui veut quitter le Tunisie, l’exonération des pénalités de retard pour ceux qui ont dépassé les dates limites de séjour, et prévoit aussi un appui psychologique et sanitaire, ainsi que la mise en place d’un numéro vert pour dénoncer les abus.

Le texte rappelle aussi que toute forme de trafic humain et l’exploitation des migrants irréguliers sont interdites et seront contrôlées, une manière d’empêcher les migrants d’accéder à des emplois même temporaires, ce qui expose les employeurs à des poursuites pour traite humaine.

Une image à restaurer

Parallèlement, la présidence rappelle que la Tunisie est membre fondateur de l’Union africaine et réaffirme son attachement au continent, tout en se défendant d’être raciste ou xénophobe. Une série d’arguments qui laissent surtout penser, même si rien n’est dit explicitement, que nul n’avait mesuré les conséquences catastrophiques de la séquence ouverte le 21 février.

« Les fonds italiens pour bloquer les flux migratoires ne sont rien comparés aux pertes que la Tunisie va enregistrer sur l’Afrique », assure un cadre de la STEG (Société tunisienne de l’électricité et du gaz), la deuxième entreprise du pays. Quant à Anis Jaziri, il veut croire que la relation n’est pas définitivement gâchée : « Il faut restaurer l’image de la Tunisie en Afrique, il faudra faire un énorme effort mais nous ne laisserons pas le pays tomber. »

Avec Jeune Afrique par Frida Dahmani

Tunisie: des centaines d’opposants pressent le président de « libérer les détenus »

mars 5, 2023
Tunisie: des centaines d'opposants pressent le president de "liberer les detenus"
Tunisie: des centaines d’opposants pressent le président de « libérer les détenus »© AFP/FETHI BELAID

« Liberté pour les détenus ». Plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés dimanche au centre de Tunis pour réclamer la remise en liberté de plus de 20 opposants au président Kais Saied, arrêtés ces dernières semaines dans un coup de filet inédit.

« A bas le coup d’Etat. Liberté, liberté pour les détenus », scandaient les sympathisants du Front de salut national (FSN), la principale coalition d’opposition.

Bravant une interdiction de manifester et des injonctions de la police, ils ont franchi des barrières de sécurité après une bousculade, pour se diriger vers l’avenue Habib Bourguiba, l’artère centrale de Tunis.

Au plus fort de la manifestation, ils étaient plus d’un millier, selon des journalistes de l’AFP.

Cette protestation était organisée au lendemain d’une marche — autorisée — de la grande centrale syndicale UGTT qui a mobilisé plus de 3.000 personnes pour protester contre l’arrestation d’un de ses membres.

Le chef de l’UGTT Noureddine Taboubi a rejeté aussi les arrestations d’opposants et appelé le président Saied au « dialogue » et à des « changements démocratiques et pacifiques ».

« Les arrestations font partie d’une politique arbitraire. Nous défendons une cause nationale et nous ne nous arrêterons pas tant que la démocratie et les institutions ne seront pas rétablis », a dénoncé devant la foule dimanche Ahmed Nejib Chebbi, 78 ans, président du FSN.

Beaucoup de manifestants brandissaient le drapeau tunisien et des photos des détenus dont le propre frère de M. Chebbi, Issam, chef du Parti républicain (Al Joumhouri).

Président « putschiste »

Le FSN dont le dirigeant connu Jawhar Ben Mbarek, 55 ans, figure parmi les opposants arrêtés aux côtés de la jeune activiste Chaima Issa, avait appelé à « une manifestation massive ».

Le père de M. Ben Mbarek, Ezzedine Hazgui, un ancien prisonnier de la dictature de Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011), a dénoncé auprès de l’AFP un « président (qui) a placé toutes les institutions entre ses mains et divisé le peuple ».

« La police protège un président illégitime et putschiste qui a détruit l’Etat et nous empêche d’exercer notre droit de manifester », a-t-il dit.

La coalition du FSN inclut le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, qui a dominé pendant 10 ans le Parlement dissous par le président Saied, dont plusieurs dirigeants ont été arrêtés.

Début février, les autorités ont lancé un coup de filet contre des personnalités dont plusieurs ex-ministres, des hommes d’affaires connus comme Kamel Eltaïef, et le directeur de Radio Mosaïque, la plus écoutée de Tunisie, Noureddine Boutar. Le président les a qualifiés de « terroristes », les accusant de « complot contre la sécurité de l’Etat ».

Cette vague d’arrestations, sans précédent depuis le coup de force du président Saied qui s’est octroyé tous les pouvoirs depuis le 25 juillet 2021, a été décrite par Amnesty International comme une « chasse aux sorcières motivée par des considérations politiques ».

Depuis l’été 2021, les ONG et les principaux partis d’opposition dénoncent une « dérive autoritaire » en Tunisie, faisant vaciller la jeune démocratie issue de la première révolte du Printemps arabe en 2011.

Avec Le Point par AFP

Des centaines de migrants maliens et ivoiriens rapatriés de Tunisie

mars 5, 2023

Près de 300 ressortissants de Côte d’Ivoire et du Mali ont rejoint samedi leurs pays pour fuir des agressions et des manifestations d’hostilité après le discours du président Kaïs Saïed contre les immigrés subsahariens en situation irrégulière.

Le premier ministre ivoirien, Patrick Achi, accueille les ressortissants ivoiriens rapatriés de Tunisie à leur arrivée à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, le 4 mars 2023. © Sia Kambou / AFP

Ce samedi 4 mars, en fin de journée, 135 ressortissants maliens sont arrivés à Bamako, rapatriés par avion de Tunisie. Ils ont été accueillis par le ministre de la Défense et des Anciens combattants, Sadio Camara, et le ministre des Maliens établis à l’étranger, Alhamdou Ag Ilyene, qui a expliqué que le gouvernement malien avait affrété l’avion. Selon le ministre, 97 hommes, 25 femmes et 13 enfants étaient à bord de l’appareil.

À Abidjan, un vol de 145 passagers a également atterri en fin de journée. Ils ont été accueillis par le Premier ministre, Patrick Achi, et plusieurs ministres, puis ont été conduits dans un centre d’accueil où ils passeront trois jours pour une prise en charge médicale et psychologique, avant de retrouver leurs familles.

Le 21 février, le président Kaïs Saïed avait affirmé que la présence en Tunisie de « hordes » d’immigrés clandestins provenant d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes » et relevait d’une « entreprise criminelle » visant à « changer la composition démographique » du pays. Ce discours, condamné par des ONG comme « raciste et haineux », a provoqué un tollé en Tunisie, où les personnes d’Afrique subsaharienne font état depuis d’une recrudescence des agressions les visant et se sont précipitées par dizaines à leurs ambassades pour être rapatriées.

« Les Tunisiens ne nous aiment pas »

Devant l’ambassade du Mali, surchargés de valises et de ballots, tous ont dit fuir un climat lourd de menaces. « Les Tunisiens ne nous aiment pas, donc on est obligé de partir mais les Tunisiens qui sont chez nous doivent partir aussi », disait Bagresou Sego, samedi, avant de grimper dans un bus affrété par l’ambassade pour l’aéroport.

Arrivé il y a 4 ans, Abdrahmen Dombia a interrompu ses études de master en pleine année universitaire : « La situation est critique ici, je rentre parce que je ne suis pas en sécurité. » Baril, un « migrant légal », s’est dit inquiet pour ceux qui restent : « On demande au président Kaïs Saïed avec beaucoup de respect de penser à nos frères et de bien les traiter. »

Selon le gouvernement ivoirien, 1 300 ressortissants ont été recensés en Tunisie pour un retour volontaire. Un chiffre significatif pour cette communauté qui, avec environ 7 000 personnes, est la plus importante d’Afrique subsaharienne en Tunisie, à la faveur d’une exemption de visa à l’arrivée.

Issus souvent de familles aisées, des dizaines d’étudiants d’Afrique subsaharienne étaient inscrits dans des universités ou centres de formation en Tunisie. Apeurés, beaucoup sont déjà repartis par leurs propres moyens, selon leurs représentants. L’Association des étudiants étrangers Aesat a documenté l’agression, le 26 février, de « quatre étudiantes ivoiriennes à la sortie de leur foyer universitaire » et d’«une étudiante gabonaise devant son domicile ». Dès le lendemain du discours de Kaïs Saïed, l’Aesat avait donné comme consigne aux étudiants subsahariens « de rester chez eux » et de ne plus « aller en cours ». Une directive prolongée au moins jusqu’au 6 mars.

Exonération des pénalités

Des Guinéens rentrés par le tout premier vol de rapatriement mercredi ont témoigné d’un « déferlement de haine » après le discours du président tunisien. Bon nombre des 21 000 ressortissants d’Afrique subsaharienne recensés officiellement en Tunisie, pour la plupart en situation irrégulière, ont perdu du jour au lendemain leur travail et leur logement. Des dizaines ont été arrêtés lors de contrôles policiers, certains sont encore en détention. D’autres ont témoigné auprès d’ONG de l’existence de « milices » qui les pourchassent et les détroussent.

Cette situation a provoqué l’afflux de centaines de personnes à leurs ambassades pour être rapatriés. D’autres, encore plus vulnérables car issues de pays sans ambassade à Tunis, ont rejoint un campement improvisé devant le siège de l’Office international des migrations (OIM), où elles dorment dans des conditions insalubres.

La Tunisie a décidé samedi d’exonérer les ressortissants d’Afrique subsaharienne qui veulent retourner volontairement dans leur pays des pénalités imposées aux personnes en situation irrégulière (80 dinars, soit 25 euros par mois de séjour irrégulier) qui, pour certains, dépassaient les 1 000 euros.

Par Jeune Afrique avec AFP

Vague d’arrestations en Tunisie, diversion ou complot ?

mars 3, 2023

Près d’un mois après l’arrestation très médiatisée de plusieurs personnalités, on ne sait toujours pas ce que la justice leur reproche. Ce qui alimente les rumeurs les plus folles…

Khayam Turki, cadre dirigeant d’Ettakatol. © Mohamed Hammi/SIPA

Les arrestations, le 11 février à l’aube, de l’homme politique Khayam Turki et du lobbyiste Kamel Eltaief avaient mis en émoi le tout Tunis. En l’absence d’information claire sur les raisons de leur interpellation, tout avait été envisagé. Certains laissaient entendre qu’ils auraient comploté contre l’État, tout en manipulant l’approvisionnement des marchés pour créer des pénuries. Une hypothèse qui ne semble plus évoquée depuis la fin des gardes à vue, et pour cause : une partie de l’opinion avait réagi en estimant que si ces hommes étaient assez puissants pour influer sur la disponibilité des biens de première nécessité, ils devaient alors être aux commandes du pays.

Autre chef d’accusation avancé : les prévenus auraient entretenu des relations très étroites avec des ambassades et conçu avec l’opposition un plan visant à déstabiliser le régime. Les acteurs supposés de ce complot machiavélique ont eux aussi été entendus par un magistrat instructeur avant d’être incarcérés.

Le Front du salut national pris pour cible

Parmi eux, on retrouve les principaux dirigeants de la coalition politique du Front du salut national : le juriste et homme politique Jawhar Ben Mbarekl’avocat et secrétaire général du parti Al-Joumhouri Issam Chebbi, l’activiste Chaima Issa, les avocats et opposants Ghazi Chaouachi et Ridha Belhaj, mais aussi l’homme de média Noureddine Boutar, et l’ancien cadre d’Ennahdha Abdelhamid Jelassi.

Près d’un mois plus tard, on n’en sait guère plus sur ce qui est reproché aux personnalités arrêtées. Faute d’informations fiables – secret de l’instruction oblige, le parquet ne communique pas –, l’heure est aux spéculations. Accointance avec des puissances étrangères, projet de coup d’État et d’assassinat du président… Les versions diffèrent, mais avec un dénominateur commun : l’idée de complot contre le pouvoir.

Pour beaucoup d’opposants, ces arrestations sont une manœuvre de diversion visant à détourner l’attention de la situation dramatique du pays, notamment sur le plan économique. Certains estiment même que la réorganisation du corps des magistrats, marqué par de nombreuses révocations en 2022, préparait au traitement de ce genre de dossier. Les avocats réunis en collectif de défense s’échinent à démontrer que les dossiers sont vides pour démentir ceux qui laissent entendre que « c’est du lourd ».

Mais le président persiste et signe, tandis que des influenceurs proches du pouvoir distillent des « fuites » tendant à accréditer sa thèse. Selon Kaïs Saïed, les suspects sont tous mêlés à un complot bien plus vaste et complexe qu’on ne le croit. Il reste néanmoins le seul, pour l’heure, à évoquer une tentative d’atteinte à sa personne.

Rencontres entre opposants chez Khayam Turki

Faute d’y voir clair sur l’existence d’un éventuel complot et sur sa nature, beaucoup tentent de comprendre ce qui a provoqué la récente vague d’arrestations. Dès le 11 février, la rumeur faisait état de rencontres entre opposants organisées chez Khayam Turki, à Sidi Bou Saïd, qui auraient éveillé des soupçons, agacé le pouvoir et attiré l’attention des services.

Surtout qu’à ces réunions s’ajoutaient de fréquents échanges avec des représentants du corps diplomatique. Mais la suite de l’histoire, ou plutôt sa véritable genèse est encore plus folle. Selon les procès-verbaux qui ont été publiés sur les réseaux sociaux par des partisans du président, c’est en fait un ancien homme d’affaires et lobbyiste, purgeant une lourde peine depuis 2017, qui aurait dénoncé les agissements de ce groupe.

L’homme aurait assuré aux enquêteurs avoir obtenu l’information par un parent en Belgique, lequel se réfère à des sources au Royaume-Uni et à un Tunisien installé aux États-Unis qui aurait mis en contact Kamel Eltaief avec… Bernard-Henry Lévy, dont le nom apparaît dans certains documents. Le philosophe français aurait échangé des messages et eu des conversations avec certains prévenus. Tous auraient ourdi le pire des complots, qui devait mettre à feu et à sang le pays avec l’appui de puissances étrangères, dont la France. « De la haute trahison, pas moins », résume un avocat, qui prévoit un procès spectaculaire pour l’exemple afin d’en finir avec le soutien étranger et toute velléité d’opposition.

La thèse, qui semble tout droit sortie de l’imagination foisonnante d’un scénariste, n’est pour l’heure étayée par aucune preuve solide, mais une partie de l’opinion, qui se soucie peu de la présomption d’innocence, y adhère déjà. Plus nuancés, certains commentateurs voient plutôt dans la vague d’arrestations de ce début d’année une purge visant à écarter définitivement les partis aux commandes du pays après 2011. Dans la ligne de mire, la troïka au pouvoir de 2012 à 2013 : Ettakatol, proche du Parti socialiste français, Ennahdha et le Congrès pour la République, devenu le Courant démocrate. Mais tant qu’un procès équitable n’aura pas présenté les preuves à charge et à décharge, et que tous les recours n’auront pas été épuisés, rien ne sera définitif.

Deux autres affaires : « les 25 » et « Instalingo »

Pour ne rien arranger, deux autres affaires en cours alimentent la thèse d’un vaste complot ourdi contre le pays, ou au moins contre ses dirigeants. La première, dite « Affaire des 25 », est née d’une enquête sur des paris sportifs à l’étranger avant de déboucher sur des accusations de complot contre la sûreté de l’État. Elle a conduit à l’arrestation, en novembre 2022, de l’ancien conseiller à la présidence et suspect principal, Walid Balti. L’analyse de ses données téléphoniques a abouti à l’ouverture d’une information judiciaire contre 25 personnes. Parmi elles, d’anciens ministres, dont Hakim Ben Hammouda, des hommes politiques comme Fadhel Abdelkefi, des journalistes dont Malek Baccari et Maya Ksouri et des artistes, dont la comédienne Sawssen Maalej.

Le seul tort de certains d’entre eux est, selon leurs avocats, d’avoir été en contact avec Walid Balti. D’autres sont accusés d’avoir tenu sur un groupe WhatsApp des propos mettant en péril la stabilité de l’État, ou pouvant être interprétés en ce sens. La similitude de cette affaire avec celle où Khayam Turki fait office de premier prévenu trouble l’opinion, d’autant qu’une députée, Fatma Mseddi, affirme que toutes les affaires convergent vers la mise en œuvre d’un plan de déstabilisation du pays.

L’affaire Instalingo est, a priori du moins, d’une tout autre nature. Entreprise produisant du contenu numérique implantée dans la région du Sahel, Instalingo est au cœur d’une affaire que la justice qualifie, conformément au Code pénal, de « tentative de changer la forme du gouvernement, d’incitation au désordre, meurtre et pillage sur le territoire tunisien ». C’est une sollicitation soutenue des réseaux sociaux pour manipuler l’opinion durant la campagne électorale de 2019 qui, au départ, a attiré l’attention des enquêteurs.

À défaut de pouvoir entendre Haithem Kehili, le fondateur de la société, en fuite à l’étranger, l’enquête, depuis le printemps 2022, semble avoir permis d’établir des liens principalement entre Instalingo et plusieurs dirigeants et sympathisants du parti Ennahdha. Sur les 28 personnes concernées par l’enquête, Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice, Mohamed Ali Aroui, ancien porte-parole du ministère de l’Intérieur, ont été incarcérés et seront rejoints, selon le parquet, par Saïd Ferjani, un proche de Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, qui a été entendu à ce sujet. Tout comme Hamadi Jebali, ancien Premier ministre. Des figures politiques de formations aujourd’hui disparues ont également été entendues comme Sofiane Toubel. Des mandats d’amener ont été émis contre Mouadh Ghannouchi, le fils du leader islamiste, et Haithem Kehili. Dans cette affaire comme dans les précédentes, la justice n’a pas précisé les charges retenues.

Avec Jeune Afrique par Thomas Paillaute

Racisme en Tunisie : les Guinéens de retour à Conakry racontent leur « calvaire »

mars 3, 2023

La Guinée est le premier pays d’Afrique subsaharienne à avoir rapatrié certains de ses ressortissants désireux de quitter la Tunisie. Les récits de ceux qui commencent à témoigner de ce qu’ils y ont vécu sont cauchemardesques, et font état d’une véritable « sauvagerie » à l’œuvre dans certaines parties du pays.

Devant les bureaux du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), à Tunis, le 27 février 2023. Le président tunisien a été accusé le 22 février de racisme et de discours de haine après avoir déclaré que des « hordes » de migrants d’Afrique subsaharienne étaient à l’origine de la criminalité et constituaient une menace démographique. © FETHI BELAID/AFP

Ibrahima Barry et Dame Mariama Barry sont visiblement épuisés et racontent leur histoire des sanglots dans la voix. Ils sont rentrés mercredi en Guinée dans le premier vol de rapatriement de Tunisie, après plusieurs jours de « calvaire ». « Un déferlement de haine qui n’a pas de raison », lâche Ibrahima Barry, encore sonné, dans une voiture l’emmenant rejoindre son frère dans la banlieue de Conakry. Le jeune homme de 26 ans s’interrompt, puis reprend: « En Tunisie, si je vous dis qu’ils sont sauvages, le mot n’est pas de trop ».

Les Noirs recherchés, pourchassés, violentés

Comme pour de nombreux migrants subsahariens, sa situation est devenue intenable après le discours du président tunisien Kais Saied appelant à des « mesures urgentes » contre l’immigration clandestine de ces Africains. Il affirmait que leur présence était source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », et visait à modifier la composition démographique du pays.

Un grand nombre des 21 000 migrants originaires d’Afrique subsaharienne en situation irrégulière présents en Tunisie ont perdu du jour au lendemain travail et logement. Les premiers Guinéens rapatriés racontent des scènes d’agression et de chasse à l’homme.

UN AFRICAIN QUI TRAITE COMME ÇA UN AUTRE AFRICAIN EST TOUT SIMPLEMENT INHUMAIN

Arrivé en Tunisie en 2019 pour aller à l’université grâce à une bourse de l’État guinéen, Ibrahima Barry vivait de petits métiers à Gabès, dans le sud-est du pays, dans l’annexe d’une « belle concession ». « J’étais couché quand un ami m’a appelé pour me dire de ne pas sortir, qu’un nationalisme anti-Noirs s’était déclenché partout dans le pays après un discours du chef de l’État », explique-t-il. Le lendemain, des voisins se sont introduits chez lui en brisant la porte, lui ordonnant de ne plus faire un geste. Il a dû son salut à son logeur, qui a fait partir les intrus en disant qu’Ibrahima Barry était « à sa disposition, à son compte ». Il le conduira ensuite jusqu’au consulat de Tunis, à quelque 400 km. « Dans mon quartier, les Noirs étaient recherchés, pourchassés, violentés, et leurs résidences pillées par des Tunisiens », assistés parfois par des agents de police, assure-t-il.

À coups de pierres ou de bâtons

« Il leur suffisait de voir un Noir, même assis devant sa porte ou en ville, pour qu’ils l’attaquent à coups de pierres ou de bâtons (…) C’est un cauchemar que nous avons vécu en Tunisie », dit-il. « Un Africain qui traite comme ça un autre Africain est tout simplement inhumain, sauvage ». Depuis le discours du président Kais Saïed, des centaines de Subsahariens se sont inscrits dans leurs ambassades sur des listes de rapatriement. La junte guinéenne a été la première à faire rentrer une cinquantaine de ressortissants mercredi soir.

ÉCHAPPER À « UNE MORT PROGRAMMÉE »…

Dame Mariama Barry, 27 ans, était dans l’avion avec Ibrahima Barry, avec qui elle n’a aucun lien de parenté. Brisée, elle a tout perdu. Arrivée en Tunisie en 2022 dans l’espoir de gagner l’Europe, elle travaillait dans un salon de coiffure à Tunis depuis huit mois. « Pur survivre », « j’étais obligée de tout accepter, même l’inacceptable », et de supporter le racisme des Tunisiens, affirme-t-elle.

Après le discours du président Kais Saïed, « c’est d’abord ma patronne qui m’a insultée, me traitant de sale nègre, d’aventurière sans origine, de mal fichue… Là j’ai compris qu’il fallait partir, et très vite ». Son quartier était en ébullition, les Africains subsahariens étaient traqués, raconte-t-elle. « Des jeunes m’ont arrêtée, l’un d’entre eux m’a giflée. J’ai demandé pardon, qu’on me laisse partir. Un autre m’a donné un coup de pied dans les fesses, je suis tombée. On m’a arraché mon sac ».

La jeune femme raconte son errance, en larmes, dans les rues de Tunis, sans argent, sans téléphone, jusqu’à ce qu’un taxi s’arrête pour l’emmener chez une amie compatriote. Là, elles se barricadent dans un studio, jusqu’à leur départ pour Conakry, qui leur permet d’échapper à « une mort programmée », dit-elle.

Dame Mariama Barry et Ibrahima Barry ont fait connaissance dans l’avion. Comme les autres rapatriés, la première nuit, ils ont été logés par les autorités dans un hôtel. Une même voiture les emmenait jeudi soir dans la banlieue de Conakry, où un frère d’Ibrahima devait le récupérer. Dame Mariama devait retrouver une demi-sœur, et leur chemin se séparer là. Aucun d’eux ne sait de quoi demain sera fait. Qu’ils semblent loin maintenant, leurs espoirs d’une vie meilleure.

À des milliers de kilomètres de là, la déferlante raciste continue de submerger la Tunisie, mais Dame Mariama et Ibrahima, eux, sont bien en vie.

Par Jeune Afrique avec AFP

Près de 300 Ivoiriens et Maliens seront rapatriés de Tunisie ce samedi

mars 3, 2023

Les rapatriements de migrants subsahariens se multiplient en Tunisie après que le récent discours du président Kaïs Saïed a déclenché une vague de xénophobie dans le pays.

Des migrants ivoiriens se pressent devant leur ambassade de Tunis en vue de leur prochain rapatriement. © Yassine Mahjoub / NurPhoto / NurPhoto via AFP

« Un départ sur Air Côte d’Ivoire est prévu samedi à 7h du matin (6h GMT) avec 145 passagers à bord », a déclaré l’ambassadeur ivoirien à Tunis, Ibrahim Sy Savané, interrogé depuis Abidjan. « Le nombre de candidats au retour atteint 1 100 à ce jour », a-t-il poursuivi.

L’ambassade du Mali à Tunis a quant à elle indiqué qu’un avion pouvant transporter 150 personnes avait été affrété sur ordre du chef de la junte, le colonel Assimi Goïta. L’avion quittera Tunis à 8h samedi (7h GMT).

« Prison à ciel ouvert »

Il s’agit des premiers vols de rapatriement en Côte d’Ivoire et au Mali depuis le discours le 21 février du président tunisien Kais Saïed, qui avait annoncé des « mesures urgentes » contre l’immigration clandestine en provenance d’Afrique subsaharienne. Dans ce discours qualifié de « raciste » par des ONG, il avait affirmé que leur présence en Tunisie était source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ».

Selon Ange Séri Soka, responsable d’une association de ressortissants ivoiriens en Tunisie, rentré à Abidjan cette semaine, « la Tunisie est devenue une prison à ciel ouvert aujourd’hui », pour les migrants d’Afrique subsaharienne.

Abus de pouvoir et agressions physiques

« La question de la carte de séjour bloque tout », a-t-il poursuivi lors d’une conférence de presse à Abidjan, affirmant qu’il était quasiment impossible pour les travailleurs migrants d’obtenir ce sésame en Tunisie. « Sans carte de séjour, vous ne pouvez pas aller au poste de police si vous êtes agressé, vous travaillez au noir » et « cela encourage les abus de pouvoir », a-t-il dit.

Un grand nombre des 21 000 migrants originaires de pays d’Afrique subsaharienne recensés officiellement en Tunisie, pour la plupart en situation irrégulière, ont perdu du jour au lendemain leur travail (généralement informel) et leur logement. D’autres ont été arrêtés pour des contrôles policiers et certains ont témoigné d’agressions physiques.

Par Jeune Afrique avec AFP

La Côte d’Ivoire va rapatrier 500 de ses ressortissants de Tunisie

mars 2, 2023

Après les propos du président tunisien Kaïs Saïed contre l’immigration clandestine d’Africains subsahariens dans son pays, Abidjan débloque un milliard de francs CFA pour une opération spéciale de rapatriement.

Le 1er mars 2023 devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis : les migrants ivoiriens viennent s’enregistrer en espérant un rapatriement, suite aux propos de Kaïs Saïed contre la communauté subsaharienne en Tunisie. © Nicolas Fauque

La Côte d’Ivoire a annoncé le mercredi 1er mars le rapatriement de 500 Ivoiriens résidant en Tunisie. L’annonce a été faite à l’issue du Conseil des ministres par le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly. « Le Conseil a été informé de la situation en Tunisie, où nos compatriotes vivent des moments particulièrement difficiles. […] Aujourd’hui, nous avons un effectif de 725 Ivoiriens identifiés. Parmi eux, nous avons 500 volontaires pour le retour », a-t-il précisé. Au total, les Ivoiriens seraient jusqu’à 7 000 dans le pays, selon l’Institut national des statistiques tunisien.

Le lundi 27 février, certains avaient manifesté devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis pour réclamer ce rapatriement. Cette mobilisation faisait suite aux propos tenus par le président tunisien Kaïs Saïed contre l’immigration clandestine d’Africains subsahariens dans son pays, affirmant que leur présence était source de « violence et de crimes » et provoquant dans la foulée une série d’agressions contre ces expatriés.

1 milliard de francs CFA

« Notre compagnie nationale Air Côte d’Ivoire a été missionnée pour opérer ces retours », a détaillé Amadou Coulibaly. Le gouvernement ivoirien a par ailleurs promis d’allouer à ces 500 ressortissants un pécule à leur arrivée à Abidjan afin de « faciliter leur réintégration ». Le montant total de cette opération est estimé à 1 milliard de francs CFA (un peu plus de 1,5 million d’euros).

En attendant ce retour, dont la date n’a pas été précisée, le porte-parole du gouvernement a assuré que « des dispositions ont été prises pour identifier et héberger les compatriotes dans des conditions acceptables grâce à des ONG caritatives ».

De son côté, la Guinée a d’ores et déjà procédé à une première vague de rapatriements. Une cinquantaine de Guinéens sont arrivés ce mercredi 1er mars à Conakry grâce à un avion mis à leur disposition par les autorités de leur pays.

Avec Jeune Afrique par Florence Richard